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L’art du diagnostic en Médecine Traditionnelle Chinoise

 

Par Patrick Shan

Si l’on en croit la loi française, seul un médecin diplômé de nos Facultés est habilité à établir un diagnostic. Si cette loi est fondée en ce qui concerne le diagnostic de médecine occidentale, que seul un médecin conventionnel est naturellement capable d’établir, elle devient quelque peu ridicule lorsqu’elle prétend s’appliquer aux médecines traditionnelles reposant sur des critères épistémologiques totalement étrangers à la science occidentale.

 

Au sens large, poser un diagnostic consiste à analyser, comprendre et expliquer un problème donné. Qu’il s’agisse d’un problème de plomberie, de mécanique, de jardinage ou de médecine, la procédure est sensiblement la même : relever des signes et des indices, en déduire une signification, établir une conclusion. Tout spécialiste d’un domaine donné doit pouvoir fournir un diagnostic. Et selon la spécialité, la nature du diagnostic change. À l’intérieur de la médecine occidentale elle-même, le diagnostic d’un généticien ne se posera pas de la même façon ni dans les mêmes termes que celui d’un anatomo-pathologiste, qui n’aura lui-même aucun lien avec le diagnostic d’un médecin généraliste clinicien.

Le diagnostic est la pierre angulaire de toute médecine. Et pourtant, il fait le plus souvent défaut. En tout cas, pour le malade. Combien de médecins sont-ils capables d’expliquer de façon claire et simple à leurs patients la cause et la nature de leur maladie ? Est-il normal que le diagnostic de la pathologie humaine ne puisse se poser qu’en des termes incompréhensibles pour le commun des mortels ?

L’être humain n’est pas si compliqué qu’on veut bien le dire, ou parfois le faire croire. C’est uniquement le regard que l’on décide de porter sur lui, le prisme au travers duquel on choisit de l’analyser, qui peuvent être plus ou moins complexes. Selon que l’on voit en notre prochain un amas de molécules ou un paysage miniature, un esprit incarné ou une mécanique de précision, le diagnostic change. Aucun n’est faux, tous sont une parcelle de vérité. Mais il en est certaines de plus humainement compréhensibles que d’autres.

Le diagnostic médical d’un praticien d’une médecine moderne dépend de la modernité de ses instruments. Des instruments scientifiques, donc exacts à ses yeux. Tant pis si, dans certains cas, le patient n’a pas les symptômes correspondant à ce que disent ses examens : c’est bien là la preuve de son ignorance, dirait Knock.

Un tradipraticien n’a recours, pour poser son diagnostic, qu’à ses propres sens et son propre bon sens. Si de grandes médecines comme la médecine chinoise, tibétaine ou ayurvédique ont pu traverser les siècles, c’est parce qu’elles sont naturalistes, comme l’était la médecine d’Hippocrate, et qu’elles n’ont jamais eu besoin d’autre chose que des ressources combinées de l’homme et de la nature pour diagnostiquer et soigner les maladies. Du moins, tant que ces maladies elles-mêmes restent « naturelles ». Car il est vrai qu’à mesure où l’homme dénature son environnement de vie, créant de nouvelles maladies « atypiques », les médecines traditionnelles s’avèrent de moins en moins aptes à rétablir son équilibre. Alors que je lui demandais si sa médecine pouvait quelque chose contre le diabète qui ravage les réserves amérindiennes, Gilbert White Dirt, homme-médecine Cheyenne, m’a fait cette réponse : « Non, car le diabète n’existe chez nous que depuis que nous avons adopté le mode de vie des blancs. Et pour les maladies des blancs, nous avons besoin de la médecine des blancs »…

Les médecines traditionnelles sont là pour nous rappeler que plus nous nous éloignons d’une forme de vie simple et naturelle, plus nous complexifions et aggravons nos maladies, et moins les médecines elles-mêmes respectueuses de la nature réussissent à nous soigner. Tout au plus pourront-elles nous rappeler nos racines, avant que nous ne finissions déracinés.

Un « tableau clinique » à la fois médical et artistique

Revenons-en au diagnostic, qui dans la médecine traditionnelle chinoise se trouve associé à une vision de l’homme très différente de celle de notre médecine scientifique. Un ancien traité de cette médecine, le Nei Jing, l’exprime ainsi :

"Chaque individu constitue un paysage particulier, et le médecin le regarde comme un peintre regarde sa toile. Le teint du visage, l'expression des émotions, les manifestations de douleur, l'aspect du pouls, expriment la nature propre à chacun, ils constituent l'essence du paysage humain. Lorsque l'on est en bonne santé, le paysage est beau. Lorsque l'on est malade, la peinture est laide."

La médecine chinoise s'appuie donc sur les qualités sensorielles et humaines du prati­cien. C'est à lui que revient la responsabilité de l'examen du patient, au moyen de procédés naturels tels que l'observation, l'auscultation, l'interrogatoire détaillé ou la palpation du corps et des pouls. La médecine chinoise enseigne que « ce qui se passe au-dedans se manifeste au-dehors » : si c’est une pomme qui apparaît sur l’arbre, inutile de faire des prélèvements dans le tronc pour savoir qu’il s’agit d’un pommier. Et si cette pomme est malade, c’est le pommier qu’il faut traiter. Le principe est simple, mais nous avons perdu de vue cette simplicité. La médecine chinoise nous réapprend à regarder l'être humain plutôt qu’à nous focaliser, au moyen d'instruments sophistiqués, sur les seuls paramètres de sa maladie.

Parce que les deux médecines ne regardent pas la maladie sous le même angle, elles ne posent pas le diagnostic dans les mêmes termes. Le Dr Leung Kok Yuen illustre ce fait par l’anecdote suivante :

« Imaginez qu’en rentrant de vacances, vous trouviez à l’intérieur de votre maison des champignons sur les murs. Vous pouvez avoir deux réflexes possibles :

- Vous pouvez vous demander « Quelle est cette espèce de champignon ? » Puis faire des prélèvements, recenser leur nombre et leur taille, et enfin mettre au point un produit toxique pour les éliminer.

- Vous pouvez aussi vous dire « Il fait froid et humide, ici ! » Puis ouvrir les volets et les fenêtres, et rallumer le chauffage pour permettre à l’air, à la lumière et à la chaleur de rétablir un microclimat normal à l’intérieur de la maison, afin que les champignons disparaissent d’eux-mêmes. »

C’est ainsi qu’un diagnostic de « salmonellose » en médecine moderne pourra être baptisé « chaleur et humidité dans le gros intestin » en médecine chinoise, qui trouvera un traitement efficace pour cette maladie sans avoir eu recours au microscope et aux analyses.

La même logique s’applique à de nombreuses pathologies : là où la médecine moderne se focalise sur les seuls agents pathogènes, la médecine chinoise s’attache plutôt au climat et à la résistance interne de l’organisme. Ainsi, si elle ne peut pas dire avec précision où se situe une tumeur et quelle est sa taille, elle a par contre une idée de ce qui peut la faire naître, et pourrait permettre de la faire régresser. Ce qui est, à n’en point douter, une dimension essentielle du diagnostic. À l’heure où l’on ne s’intéresse plus seulement au cancer, mais aussi à la cancérogenèse, une telle approche ne mériterait-elle pas un peu plus de considération de la part de nos chercheurs ? Est-il incongru de souhaiter que ces deux visions, qui ont toutes deux leur justesse et leur utilité, cohabitent bientôt dans notre système de santé ?

Une vision élargie

Le diagnostic en médecine chinoise est l’aboutissement d’une enquête qui demande des capacités sensorielles affûtées, associées à une bonne logique déductive. L’une des difficultés de cet examen est d’être attentif au patient à la fois sur le plan physique (Jing), physiologique (Qi) et psychologique (Shen), afin de savoir relier les parties au tout. Car, comme le souligne le Nei Jing, tout compte :

"Le médecin doit être au fait des affaires humaines pour éclairer les antécédents. La condition sociale, la situation financière, la complexion individuelle, l'âge, la force d'âme doivent être recherchés en détail pour reconnaître l'origine de la maladie.(...) Quand on fait l'examen habituel de Jing, Qi et Shen, on doit s'informer de la condition sociale, de la perte éventuelle d'une dignité, d'un désir d'anoblissement. La perte d'une haute situation, sans nulle intervention des Xie (agents pathogènes), fait sécher la peau, rétracter les muscles et cause des parésies et contractures des jambes. Quand le médecin n'a pas assez d'autorité pour détourner l'esprit du malade, l'extérieur du corps devient faible et mou, le désordre devient une altération définitive, la maladie s'immobilise et toute la médecine devient impuissante. (...) La séparation d'un être aimé provoque un marasme qui se cristallise. La tristesse, la crainte, la joie et la colère vident les cinq organes, le Qi et le sang perdent contenance. De quelle qualité est l'art du médecin qui ignore cela ?" [1]

La suite du Nei Jing  décrit comment le déclassement social ou la perte de biens matériels peuvent générer des maladies appelées Tuo Ying (échappement de la nutrition) ou Shi Jing (perte de l'essence), évoquant entre autres certaines formes de maladies dégénératives comme la maladie de Hodgkin ou la sclérose en plaques. Et l'Empereur de conclure que "le médecin qui n'a rien compris du début, ne peut que dire le jour du décès". Au vu des progrès obtenus dans ces domaines depuis qu'a été écrit le Nei Jing (300 avant J-C), on se prend à rêver que notre médecine, se détournant un moment de ses Téléthons commisératifs destinés à nourrir une recherche unidirectionnelle [2], se décide un jour à imiter cet étudiant du Cercle des Poètes Disparus, et monte sur une table -ou sur une pile d'ouvrages scientifiques -, pour regarder enfin les choses de plus haut...

Pour poser ses diagnostics, la médecine traditionnelle chinoise requiert une vision englobante, telle celle d’un aigle survolant un paysage tout en étant capable d’en discerner les détails, plutôt qu’une vision de taupe, les yeux vissés sur l’infiniment petit au moyen d’appareils grossissants ou explorant les profondeurs. Mais attention ! Pour être un fervent lecteur de La Hulotte (le journal le plus lu dans les terriers, pub gratuite), je peux vous assurer que la taupe est un animal infiniment respectable et utile ! Certaines spécialités médicales comme l’ophtalmologie, l’odontologie ou encore la chirurgie sous toutes ses formes, n’ont pu faire de progrès spectaculaires que grâce à cette avancée combinée de la technologie et de l’observation de l’infiniment petit. Et face à certaines maladies (de blancs ?), l’anatomo-pathologie moderne a toute sa place et son rôle à jouer. Il n’est donc pas question de dénigrer l’approche analytique et scientifique occidentale des choses, qui est juste et nécessaire dans le monde d’aujourd’hui, mais de rappeler simplement qu’elle n’est pas la seule, loin s’en faut. Notamment en ce qui concerne la médecine dite générale, qui comme son nom l’indique, se devrait de savoir regarder les choses dans leur globalité. « Pour comprendre la vie, me disait le Dr Yang, chef du service de médecine interne de l’hôpital de Chengdu, vous avez le choix entre vous enfermer dans un laboratoire et regarder dans un microscope, ou sortir au-dehors et écarquiller les yeux. » Les deux visions se complètent, et devraient donc cohabiter. Ce qui ne veut pas dire qu’elles doivent n’en faire qu’une, car n’en déplaise à ceux qui rêvent d’un médecine mélangeant allègrement les deux systèmes -et donc les deux visions-, regarder le monde avec un œil sur le zoom et l’autre sur le grand angle ne donne rien d’autre qu’une violente migraine…

Un langage familier

Une fois la lecture du patient faite au moyen des quatre temps de l’examen, il reste bien évidemment à synthétiser l’ensemble des indices relevés pour élaborer un tableau clinique en termes codifiés de médecine chinoise (Cf. infra). L’étape suivante consistera pour le médecin à expliquer à son patient ce qu’il a compris de sa maladie, afin que ce dernier puisse participer en conscience à son propre traitement, et par-delà, à son propre processus de guérison.

Il est étonnant de constater avec quelle facilité les patients, qui ne connaissent rien à la médecine chinoise, comprennent les explications qu’on leur donne, pour peu que l’on utilise des termes simples et imagés, et qu’on ne leur parle pas « chinois ». Si ce diagnostic « exotique », paradoxalement, leur parle, c’est parce qu’il a été saisi avec les sens ordinaires plutôt qu’avec des instruments dont seul un technicien connaît le langage. C’est aussi parce qu’il est exprimable en termes d’analogies avec des phénomènes naturels, ce que chacun peut comprendre intuitivement. Et il faut bien admettre que l’explication d’une maladie dans le langage de la biologie moléculaire ou du génie génétique, c’est cela qui, pour la majorité d’entre nous, ressemble le plus à du chinois !

À bien y réfléchir, est-il instrument plus sophistiqué, pour poser le diagnostic de la pathologie humaine, que l’être humain lui-même ? N’est-ce pas au départ, et dans toutes les médecines, l’apanage du bon médecin que de savoir lire la santé ou déceler la maladie dans la multitude des signaux émis par le patient ? Mais quel médecin d’aujourd’hui fait encore tirer la langue, et pour y chercher quoi ? Une candidose, et encore. Les examens font ça tellement mieux…

Une pratique à dimension humaine

Il y a un air de famille certain entre la médecine traditionnelle chinoise et celle que pratiquaient nos médecins de famille d’antan. Ces cliniciens d’expérience, capables de trouver la nature de votre problème sans vous passer par toute une batterie d’examens et de vous dégoter un remède efficace pour trois francs six sous, n’ont plus qu’un lointain rapport avec les praticiens d’aujourd’hui qui, par crainte d’un procès à la mode américaine, sont plutôt tentés de vous prescrire un combiné radio-scanner-IRM pour la première migraine venue, au cas où. De toute évidence, la médecine traditionnelle chinoise comme celle de grand’papa ont quelque chose de désuet par rapport à la médecine high-tech d’aujourd’hui, qui tend à diagnostiquer et traiter le corps humain comme l’industrie automobile de pointe traite ses véhicules de série : passage au banc électronique, entretiens standards, changement des pièces, et facture envoyée au conducteur… Amis médecins, attention ! Après les bornes SNCF, ce seront bientôt des bornes médicales que l’on va voir fleurir dans les halls des centres de soins, avec prise automatique et instantanée de la tension, de la température, de la composition sanguine, du rythme cardiaque, du litrage d’air,  des réactions nerveuses et allergiques, bref, de ces examens standards qui ne sont plus que le triste apanage du médecin généraliste d’aujourd’hui. Au clou, le sthéto ! Au garage, le médecin de famille ! Et en sursis, le chirurgien, en attendant que le robot soit au point ? Quel monde, ma bonne dame. Non, je ne délire pas. Regardez comment les choses évoluent. Voyez la place de l’humain dans la médecine, à mesure que celle-ci se technicise et s’industrialise. Savez-vous ce qu’est un « projet d’humanisation » pour un hôpital ? Augmenter le personnel soignant ? Demander au médecin de s’arrêter quelques secondes de plus au chevet du malade ? Perdu. C’est réduire le nombre de lits par chambre.

Un diagnostic causal et multiforme

Mais revenons-en à la médecine chinoise et à son diagnostic. Celui-ci doit viser à reconnaître non seulement la maladie, mais également et si possible, d’en trouver la cause.

La médecine traditionnelle chinoise recense neuf causes primaires de maladie : les facteurs climatiques (et tous les micro-organismes pathogènes qui vont avec), les facteurs psycho-affectifs, les facteurs épidémiques, les causes alimentaires et diététiques, les différentes formes de surmenage (physique, intellectuel, sexuel), les traumatismes, les parasites, les intoxications, et les facteurs héréditaires. Ces causes peuvent s'imbriquer ou se superposer chez un même sujet, évoluer de l'une vers l'autre, etc. Ce qui ne simplifie pas le diagnostic de la pathologie humaine et justifie, comme nous l’avons déjà dit, une approche initiale globale de la maladie. Car si vous preniez le risque de confier votre céphalée dès le départ à un spécialiste, celui-ci risquerait fort de ne limiter la cause du problème qu’au champ de ses propres connaissances, à savoir : l’état de la dentition pour un dentiste, celui des vertèbres pour un chiropracteur, la posture pour le podologue, l’affect pour le psychologue, l’alimentation pour le diététicien, etc. A moins d’être de ceux qui ont de la chance à la loterie, mieux vaut donc commencer par une approche médicale qui regarde l'homme de façon globale, en tenant compte de ses différentes dimensions, et d'ainsi poser un diagnostic qui ait des chances de déterminer la, ou les causes les plus probables d'une maladie.

Une fois la cause de la maladie déterminée, il est par contre possible d'établir le diagnostic de différentes manières, c’est-à-dire exprimer le syndrome (tableau clinique) dans une logique particulière. Une logique qui essaiera toujours d'être la plus simple, la plus directe et la mieux adaptée au cas.

Par exemple, ce que la médecine occidentale nomme « stade initial du syndrome grippal » peut être diagnostiqué en médecine chinoise de différentes manières :

-          Si l’on se réfère aux principaux symptômes et à l’action thérapeutique à mener, on diagnostiquera une « plénitude de surface » (Biao Shi) ;

-          Si l’on considère le processus évolutif de cette maladie, on diagnostiquera plutôt une « maladie par atteinte de la première couche de défense du corps par le froid » (Tai Yang Bing) ;

-          Si l’on considère la nature de l’agent pathogène et l’organe atteint, on diagnostiquera une « atteinte de vent froid sur le Poumon » (Feng Han Fan Fei)

Ces différentes façons de poser le diagnostic sont toutes justes ; elles représentent simplement des angles de visions différents, selon que l’on décidera de s’attacher dans le traitement à la nature, la localisation ou l’évolution de la maladie. Quoi qu’il en soit, la base de l’action, pour un praticien, sera toujours de commencer par poser le diagnostic, c’est-à-dire d’exprimer en termes clairs la situation dans laquelle l’organisme d’un malade se trouve, afin de définir un principe thérapeutique et un choix d’action de traitement. Trop de praticiens se limitent à une façon unique et exclusive de poser leur diagnostic, par exemple en terme d’organes, ou d’éléments. Ce qui est au mieux simpliste, et au pire faux, car ne correspondant pas nécessairement au problème réel.

Comprendre les pannes du véhicule humain

Si l’on fait un parallèle entre le corps humain et un véhicule automobile, on s’aperçoit que le médecin, comme tout bon garagiste, se doit de raisonner à plusieurs niveaux pour poser un diagnostic juste. En cas de panne comme de maladie, plusieurs options se présentent, nécessitant de poser ce que l’on nomme un diagnostic différentiel (Bian Zheng). Ainsi, dans une maladie donnée :

-          Si c’est une pièce du moteur qui est défectueuse ou mal réglée, le diagnostic se pose en termes d’organes (Zang Fu) ;

-          Si les organes du moteur sont en bon état, mais obstrués par des dépôts, le diagnostic se pose en termes de liquides pathologiques (Tan Yin) ;

-          Si le moteur a des problèmes de contact ou de démarrage à cause de l’humidité, le diagnostic se pose en termes de climat (Liu Yin) ;

-          Si la panne est due à un problème d’essence, d’huile, de liquide de frein ou de charge d’énergie de la batterie, le diagnostic se pose en termes de substances (Qi Xue Jin Ye) ;

-          Si le problème concerne la carrosserie mais n’affecte pas les organes internes (comme dans la rhumatologie ou la traumatologie par exemple), le diagnostic se pose en termes de « méridiens » (Jing Luo) ;

-          Si le véhicule n’a pas de véritable panne mais souffre d’une mauvaise utilisation par son conducteur, ou encore si le problème n’existe que dans la tête du conducteur (qui croit entendre un bruit anormal alors que tout va bien), le diagnostic se pose en termes de conseils « de conduite personnelle » (Yang Sheng, Xin Li) ; etc.

Le diagnostic individuel, un vœu pieu ?

Il existe encore, en médecine traditionnelle chinoise,  bien d’autres manières d’exprimer le diagnostic, c’est-à-dire d’éclairer un problème et de lui trouver une solution. Car il est essentiel, du point de vue de cette médecine, de poser non seulement un diagnostic par rapport à la maladie, mais également de le poser dans les termes les plus justes par rapport à sa cause, si l’on veut pouvoir appliquer un traitement autre que symptomatique, et éviter que ce dernier ne génère à son tour d’autres dérèglements. Une logique qu’il n’est peut-être pas inutile de rappeler à notre industrie pharmaceutique, elle qui semble commencer à s’intéresser de près à la pharmacopée chinoise : la richesse de cette médecine provient de sa capacité de nuancer le diagnostic et d’adapter le traitement à chaque individu. Ce qui ne cadre pas exactement avec un système qui procède à des examens standard pour classer ses patients selon des critères de normalité ou d’anormalité, et qui met au point des médicaments identiques pour tous, avec la cohorte d’effets secondaires possibles que l’on sait.

Ceci doit nous faire poser une nouvelle fois la question : qui est au service de qui ? Est-ce au patient d’apprendre le langage du médecin, et de s’adapter au traitement qu’on lui donne ? Est-ce à la logique industrielle de dicter la façon de diagnostiquer et de traiter des individus dont il est pourtant facile de remarquer qu’aucun n’a le même visage ?

Mais au fait, à l’ère normalisatrice où nous sommes, sont-ce seulement des questions à poser à l’homo modernicus, branché sur les pages de son horoscope collectif (ce comble du non-sens) et sa télévision à écran plat (ça ne s’invente pas), au contenu identique en dépit –ou à cause- du nombre de chaînes ? N’est-il pas normal que nos diagnostics et nos médicaments soient fabriqués de la sorte ?

Si de telles réflexions vous donnent légèrement mal à la tête, signe de votre appartenance à la branche susdite, c’est donc normal, et il n’y a pas lieu de vous inquiéter : l’aspirine est faite pour ça. Si, par contre, vous souhaitez comprendre d’où vient ce mal, et éviter qu’il ne se reproduise, alors là, attention : vous couvez certainement quelque chose de plus grave, et je vous conseille vivement de consulter un médecin d’antan !

 


[1] Huang Di Nei Jing Su Wen, Ch.77, traduction d'Albert Husson, A.S.M.A.F., 1973

[2] la logique de la recherche médicale moderne fait penser à l'histoire de cet homme qui, ayant perdu ses clés la nuit dans une rue sombre, les recherche quelques centaines de mètres plus loin, sous un réverbère. Lorsqu'on lui demande pourquoi, il répond très logiquement : "Mais parce qu'ici, il y a de la lumière !"